Proaméricain, anti-Merkel et pilote de jet : qui est Friedrich Merz, le futur chancelier allemand ?

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BERLIN — Friedrich Merz est sur le point de devenir le chancelier le plus américain de l’Allemagne.

Jamais dans l’histoire, un chef de gouvernement allemand n’a eu autant d’affinités avec les Etats-Unis. Merz s’est rendu plus de 100 fois de l’autre côté de l’Atlantique, selon son propre décompte, et considère l’ancien président américain Ronald Reagan comme l’un de ses modèles.

Merz, dont l’alliance conservatrice CDU-CSU est arrivée en tête des élections fédérales dimanche avec 29% des voix, selon les premières projections officielles, apprécie particulièrement une célèbre phrase de Reagan qui résume la méfiance à l’américaine du dirigeant allemand à l’égard de l’interventionnisme étatique : “Les neuf mots les plus terrifiants de la langue anglaise sont : je suis du gouvernement et je suis là pour vous aider.”

Mais, alors que Merz est sur le point de diriger l’Allemagne, son Amérique adorée est passée du statut d’ami indispensable à frenemy (mi-ami/mi-ennemi). De plus en plus, lui et d’autres dirigeants européens ne considèrent plus les Etats-Unis comme un exemple à suivre — cette “ville brillante sur une colline”, comme aimait à l’appeler Reagan —, mais plutôt comme une autre puissance qui se joint à la Russie et à la Chine pour ébranler progressivement les démocraties fragilisées du Vieux Continent.

“C’est vraiment un changement d’ère”, a déclaré Merz sur scène à la conférence de Munich sur la sécurité au début du mois, après que le vice-président américain JD Vance a prononcé un discours présentant les partis centristes européens — et non la Russie ou la Chine —, comme la plus grande menace pour la sécurité de l’Europe. “Si nous n’entendons pas le signal d’alarme maintenant, a ajouté Merz, il pourrait être trop tard pour l’ensemble de l’Union européenne.”

L’intervention de Vance à Munich entrera probablement dans l’histoire de l’Europe comme un changement d’époque, tout aussi important que le discours de Vladimir Poutine à la même conférence en 2007, lorsque le président russe a déclaré la guerre à l’ordre libéral mené par les Etats-Unis. Aujourd’hui, c’est l’administration américaine elle-même qui tourne le dos à ce consensus.

Les dirigeants allemands, dont Merz, ont été particulièrement lents à accepter la nouvelle réalité, déclarant jusqu’à récemment que l’alliance transatlantique perdurerait malgré les signaux clairs de l’administration Trump sur le fait qu’elle mettrait fin à son aide militaire à l’Ukraine, remettrait en question l’engagement des Etats-Unis à défendre l’Europe et soutiendrait les forces d’extrême droite pro-Kremlin.

Pour Merz, un atlantiste assumé, il ne pouvait y avoir de réveil plus brutal. Tout l’enjeu de son mandat sera de savoir s’il peut mener l’Allemagne et l’Europe dans la défense de l’ordre libéral qui s’effrite sans les Etats-Unis ou si, comme le futur chancelier l’a suggéré à Munich, il est déjà presque trop tard.

L’ascension, la chute et la remontée de Merz

Ce n’est pas dans ce contexte que Merz s’était imaginé arriver au pouvoir. Une quête qu’il poursuivait depuis longtemps.

Né une décennie après la fin de la Seconde Guerre mondiale dans le Sauerland, une région rurale et montagneuse de l’Allemagne de l’Ouest, Merz était, de son propre aveu, un élève peu brillant, ainsi qu’un fumeur et buveur précoce enclin à des problèmes de discipline. Malgré cette tendance rebelle, il a été influencé par la culture conservatrice profondément ancrée dans sa région et a rejoint l’Union chrétienne-démocrate (CDU), le grand parti de centre droit, alors qu’il était encore au lycée. Après un bref passage dans l’armée, Merz est entré à l’université de Bonn, alors capitale de l’Allemagne de l’Ouest, où il a étudié le droit.

Il devient député européen en 1989, l’année de la chute du mur de Berlin. Cinq ans plus tard, il est élu au Bundestag, où il développe une relation étroite avec Wolfgang Schäuble, pilier de la CDU et ardent défenseur de l’intégration de l’Union européenne. Sous la tutelle de Schäuble, Merz gagne en stature au point d’être considéré comme un candidat potentiel au poste de chancelier.

Son ascension a toutefois pris fin en 2002, lorsqu’il a perdu la bataille pour le pouvoir face à Angela Merkel, plus centriste.

Ne voyant pas de rôle pour lui dans la CDU version Merkel, Merz s’est mis en retrait et, au milieu de la crise financière mondiale de 2008, a publié un éloge des marchés libres intitulé “Osez plus de capitalisme”. Un an plus tard, il quitte le Bundestag pour travailler comme avocat d’affaires tout en prenant la tête d’Atlantik-Brücke, un lobby qui promeut les liens transatlantiques.

A cette époque, Merz militait en faveur d’un accord commercial entre l’UE et les Etats-Unis — le Partenariat transatlantique de commerce et d’investissement, ou TTIP en anglais — et a noué des liens plus étroits outre-Atlantique, réseautant avec des responsables politiques et des chefs d’entreprise américains. L’un de ses endroits préférés aux Etats-Unis, a-t-il confié à son biographe Volker Resing, est la bibliothèque présidentielle Ronald Reagan à Simi Valley, en Californie, où l’ancien locataire de la Maison-Blanche est enterré.

Au cours des dix années passées dans le secteur privé, Merz a siégé dans plusieurs conseils d’administration, notamment pendant quatre ans chez le gestionnaire d’actifs américain BlackRock, une période qu’il considère comme l’une des plus heureuses de sa vie, selon Resing. Merz met en avant que cette période lui a permis d’acquérir une expérience précieuse en dehors de la politique, mais ses détracteurs l’accusent d’avoir simplement utilisé ses relations politiques pour faire du lobbying en faveur d’intérêts puissants, lui permettant de devenir millionnaire.

Lorsque Merkel a lâché le leadership de la CDU en 2018, Merz a vu une opportunité de revenir en politique. Le centrisme de Merkel et ses politiques généreuses pour les réfugiés, selon Merz, avaient affaibli la droite de la CDU, permettant la montée du parti d’extrême droite Alternative pour l’Allemagne (AfD). Merz a entrepris de défaire une grande partie de l’héritage de Merkel et de tirer la CDU nettement vers la droite. Le parti, qui cherchait à se réinventer après seize ans sous Merkel et une défaite électorale face au Parti social-démocrate (SPD) d’Olaf Scholz en 2021, l’a élu président au début de l’année 2022, à sa troisième tentative pour le poste. “Je suis profondément ému”, avait confié Merz après le vote, en retenant ses larmes.

Prise de risque ou populisme ?

Bien que Merz et ses conservateurs soient sortis en tête des élections de dimanche, les sondages indiquent qu’il n’est pas particulièrement populaire auprès des Allemands.

Dans un pays qui reste profondément méfiant à l’égard de l’industrie financière, la fortune de Merz et son passage chez BlackRock ne sont pas très bien vus. Le fait qu’il se déplace régulièrement dans le pays à bord de son propre jet privé, qu’il pilote lui-même, après avoir réalisé à la cinquantaine son vieux rêve d’obtenir le brevet de pilote, n’arrange pas les choses.

“Friedrich Merz n’est pas vraiment aimé, mais il est respecté”, a résumé Günther Oettinger, un ancien haut responsable de la CDU et commissaire européen, à POLITICO en fin d’année dernière.

Pourtant, Merz a aussi la réputation d’être impulsif, susceptible et prêt à faire des sorties populistes, en particulier lorsqu’il s’agit d’immigration. Ses défenseurs affirment qu’il ne fait que prendre des risques — un trait qu’il a tiré de ses années dans le secteur privé — et qu’il n’hésite pas à croiser le fer dans des débats houleux.

Merz a pris l’un de ses plus grands paris peu avant les élections. Après une série d’attaques très médiatisées imputées à des demandeurs d’asile dans les mois précédant le scrutin, son camp n’a fait que baisser dans les sondages, tandis que l’AfD progressait. En janvier, après qu’un Afghan armé d’un couteau a attaqué de jeunes enfants dans un parc de Bavière, tuant un enfant et un homme qui tentait de les protéger, Merz a décidé qu’il était temps d’opérer un changement radical.

Lui et ses conservateurs se sont alignés sur l’AfD pour tenter de faire passer au Parlement des mesures sévères en matière d’immigration, notamment une proposition visant à rejeter les demandeurs d’asile à la frontière, brisant ainsi un tabou et affaiblissant le “pare-feu” de l’Allemagne d’après-guerre contre l’extrême droite.

Résultat, des dizaines de milliers de manifestants indignés ont battu le pavé à travers le pays pour exprimer leur émotion face à ce choix de Merz d’accepter le soutien de l’AfD. “On ne peut plus faire confiance à Merz”, avait alors tancé Scholz, dont le SPD de centre gauche est arrivé en troisième position lors des élections de dimanche. Robert Habeck, qui était le candidat des Verts à la Chancellerie, avait alors qualifié la décision de Merz de “disqualification” pour le poste.

Mais les électeurs n’étaient pas de cet avis. Au contraire, ils ont largement soutenu les politiques migratoires restrictives, et ont porté Merz au pouvoir.

Un atlantiste désenchanté

Les conservateurs allemands ont longtemps espéré que les politiques migratoires restrictives de Merz, son expérience dans le monde des affaires et sa familiarité avec les Etats-Unis le rendraient sympathique aux yeux de Donald Trump.

“Merz est l’un des Allemands ayant le plus de contacts aux Etats-Unis”, souligne Thomas Silberhorn, un député CSU spécialisé dans les relations transatlantiques. “A cet égard, je suis très confiant. Il sait aussi comment les choses fonctionnent. Il est habitué à l’idée qu’il faut parler franchement.”

Merz s’est également engagé à conclure des “deals” avec Trump. Dans une interview donnée le mois dernier, il a suggéré que l’Allemagne pourrait s’attirer les faveurs du président des Etats-Unis en achetant des avions de chasse américains F-35 et en augmentant les dépenses de défense pour dépasser systématiquement l’objectif de l’Otan, qui est de 2% du PIB. Malgré l’amour du locataire de la Maison-Blanche pour les droits de douane, Merz a également suggéré d’essayer de relancer les négociations sur le TTIP, qui ont échoué au cours du premier mandat de Trump.

Jusqu’à récemment, cependant, l’approche de Merz pour faire face à l’administration Trump consistait principalement à nier l’ampleur du défi.

Un jour avant le discours de JD Vance à Munich, Atlantik-Brücke, le lobby auparavant dirigé par Merz, publiait l’un de ses essais sur les relations transatlantiques. “Notre alliance avec l’Amérique a été, est et restera d’une importance capitale pour la sécurité, la liberté et la prospérité en Europe”, écrivait Merz. Avec Trump, poursuivait-il, “les relations transatlantiques changeront à nouveau, mais nous continuerons à partager des valeurs et des intérêts communs, ainsi qu’une promesse commune de protection au sein de l’Otan.”

Quelques jours plus tard, le ton de Merz a changé radicalement, mettant en garde contre une rupture transatlantique.

En 2002, Merz a perdu la bataille pour le pouvoir face à Angela Merkel, plus centriste. | Photo de Stefan Wermuth/AFP via Getty Images

“Les différences entre les Etats-Unis et l’Europe prennent une toute nouvelle dimension”, a-t-il écrit dans une note adressée à ses partisans après le discours de Vance. “Désormais, ce n’est plus ‘juste’ une question de défense ; désormais, c’est notre conception fondamentale de la démocratie et d’une société ouverte.” Merz a comparé ce moment à l’invasion de l’Ukraine par la Russie en 2022, lorsque, selon lui, “nous nous sommes réveillés et sommes sortis de nos rêves, nous avons alors dû apprendre à comprendre que notre monde n’est plus ce qu’il était censé être”.

Les dirigeants allemands et européens ont été encore plus inquiets lorsque Trump, quelques jours plus tard, a accusé l’Ukraine — et non le Kremlin — d’avoir déclenché la guerre et a ensuite qualifié le président ukrainien Volodymyr Zelensky de “dictateur”.

Suite aux déclarations de Trump, Merz a averti ses partisans lors d’un meeting dans le Land de Hesse que le “comportement autocratique au sommet de l’Etat” outre-Atlantique pourrait persister pendant longtemps. “Notre réponse ne peut qu’être de devenir enfin résilients, capables de se défendre et de se tenir debout en Europe”, a-t-il ajouté.

Dans une interview accordée le lendemain, Merz a prévenu que l’Europe devait se préparer à ce que Trump mette fin à la protection de l’Otan et a fait allusion à un changement stratégique majeur, affirmant que l’Allemagne devait discuter de la possibilité d’un “partage nucléaire, ou au moins de la sécurité nucléaire” avec les puissances nucléaires européennes que sont le Royaume-Uni et la France. Les conservateurs allemands, auparavant, préféraient maintenir des liens étroits avec les Etats-Unis plutôt que de répondre aux appels de Paris pour développer une “autonomie stratégique” de l’Europe.

Le changement de discours de Friedrich Merz montre à quel point il a peu confiance dans l’administration Trump. Toute la question est de savoir si le prochain chancelier allemand parviendra à donner une nouvelle direction à l’UE, elle-même confrontée à la montée des partis d’extrême droite prorusses.

Merz a exprimé sa volonté de tracer une nouvelle voie, mais le chemin à suivre reste obscur.

“Au sein de cette Europe, l’Allemagne doit jouer un rôle de premier plan”, a-t-il déclaré lors du meeting en Hesse. “Nous devons assumer cette responsabilité. Pour ma part, je suis déterminé à le faire.”

Nette Nöstlinger et Rasmus Buchsteiner ont contribué à cet article.

Cet article a d’abord été publié par POLITICO en anglais et a été édité en français par Jean-Christophe Catalon.

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